Littérature et créations artistiques au prisme du queer

Écritures, performances et résistances

12 et 13 février 2026

Colloque international indisciplinaire

Maison des Sciences Humaines Annie Ernaux  

33 bd du port à Cergy

CY Cergy Paris université – UMR- Héritages : CNRS, Ministère de la culture - IUF

Photographie de Nicola Lo Calzo - avec l'aimable autorisation de l'artiste

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Argumentaire

En 2003, l’éditorial du numéro 40 de la revue du Collège International de Philosophie Rue Descartes, intitulé « Queer : repenser les identités » et dirigé par Robert Harvey et Pascal Le Brun-Cordier, tentait de définir ce qu’était « la pensée queer ». Jugée disparate, elle pouvait cependant être identifiée par quelques-unes de ses idées forces : « une critique déconstructive de tous les essentialismes, des assignations identitaires normalisantes, des binarismes réducteurs (homo/hétéro, masculin/féminin) et de l’alignement génétique rigide sexe/genre/sexualité/identité ; une théorisation renouvelée des processus de subjectivation ; un intérêt pour toutes les dissidences et distorsions identitaires et pour l’invention de nouvelles configurations érotiques, sexuelles, relationnelles, de filiation, de savoir, de pouvoir... ; une volonté de queeriser les modes de pensée déterminés par un paradigme andro et hétéro-centré ; une relecture soupçonneuse de l’histoire littéraire, du cinéma, de la culture populaire ». 

Vingt-deux ans plus tard, au tempo de la société, nombreux ont été les recherches et les colloques construits autour de ces idées forces, et cela dans toutes les disciplines. La critique queer trouble les structures binaires et invite à penser et à agir hors des cadres hétéro- et cis- normatifs. Elle prend en compte les « autres », celleux qui sont en dehors, et désintègre les formes discursives, faisant souvent fi des savoirs et pratiques disciplinaires. Cette reconnaissance des pensées queer dans l’élaboration de la critique et des pratiques artistiques et littéraires pose de façon aigüe la question de la méthodologie et des processus de création. A l’instar de Deleuze, qui refusant la méthode, affirmait, dans Qu’est-ce que la philosophie, que penser n’était pas reconnaître mais créer dans les intervalles, nous pouvons nous demander en quoi le queer est un outil épistémologique, une prise de risque intellectuelle qui permet d’aller vers l’inconnu, l’inédit, la déconstruction des représentations, l’originalité de la création et de ses déclinaisons. 

Sensible aux inquiétantes orientations des sociétés qui, en 2025, peuvent entendre un Président affirmer qu’il supprime les politiques transgenres parce qu’« à partir d'aujourd'hui, la politique officielle du gouvernement des Etats-Unis sera qu'il n'y a que deux sexes, masculin et féminin », ce colloque « indisciplinaire », au sein d’une institution à interpeller, souhaite insister sur la dimension révolutionnaire de l’art queer, capable de questionner le normatif et les dynamiques de pouvoir au-delà de la sexualité et du genre et de créer des espaces de résistances réels ou virtuels.

 

Littérature

Parmi d’autres formes d’expression, la littérature est un champ d’investigation de choix qui, en tant que discours, « n’est pas qu’un support et surtout pas un support parmi d’autres. La littérature est le lieu privilégié du genre, soit que le texte en consigne les normes, soit qu’il se fasse au contraire le lieu d’une subversion, d’une résistance, d’une porosité du genre » (Lasserre, 2021). Dans ce cadre, le domaine de la fiction particulièrement peut constituer un espace de réflexion pour les théories queer dans la mesure où « par les diverses représentations d’actes et discours de personnages masculins ou féminins, [elle] peut participer à performer le genre » (Guilhem Bouhaben, 2022). Centrale en critique littéraire, la notion de stéréotype a partie liée avec celle de la performance de genre au sens butlérien. Dès lors, aussi bien dans le domaine de la littérature adressée aux adultes que dans celui de la littérature pour la jeunesse, les stéréotypes, notamment lorsqu’ils sont liés aux normes de genre, sont une voie d’accès fructueuse pour la critique queer : ainsi pour Culler, « en nous référant au modèle de Butler, nous pourrions dire qu’une œuvre réussit, devient un événement, par la répétition massive qui reprend les normes et peut finir par changer les choses » (Culler, 2006). La question est fondamentale en littérature de jeunesse où se pose la question des moyens et des effets sur le jeune lecteur du jeu sur/avec les stéréotypes, notamment de genre, même et surtout s’ils sont subvertis (Connan-Pintado, 2019). D’autant que pour Butler, la subversion n’est pas une fin en soi, prise dans la répétition et l’assimilation dans « le cadre d’une économie de marché où la ‘subversion’ a une valeur marchande » (Butler, 1999).

 

Écritures 

L'écriture queer peut-elle s’envisager comme concept littéraire qui remette en question les normes traditionnelles de la narration et de la structure ? Est-elle le refus des topoi classiques, des grands récits et des mythologies ? S’éloigne-t-elle des règles établies pour inventer un style, une forme, un ton, ou de nouvelles modalités ? L'écriture queer consiste-elle à briser, fragmenter, perturber, couper et briser les conventions ? En somme, écrire queer est-ce écrire de manière « tordue » ? 

On pourra ainsi interroger des pratiques alternatives d’écriture/réécriture, non seulement le cut-up, la parodie, le caviardage, la fanfiction, mais un usage queer du numérique, des réalités virtuelles et des intelligences artificielles génératives comme d’espaces d’expérimentations pour infiltrer, désorganiser, reconfigurer les algorithmes et leurs biais hétéronormés (Dubois 2020). A l’échelle des imaginaires véhiculés par les grands modèles de langage et de l’exploration des « espaces latents » de l’IA (Somaini et al. 2025), et puisque « la guerre est dans les mots », comment retrouver les cris des identités queer : « Nous sommes brouillons, inachevés, circulaires, désordonnés » (Grandena et Landry 2022) ?

 

Art-performance

La poétique queer – ou plutôt la « poïétique » qui tire la relation esthétique du côté du poïen de la réalisation artistique – n’est pas qu’alternative, elle porte en elle une « violence épistémique » (Bourcier, 2023) dont la force déconstructiviste est, sans surprise, « tout imbibée de Derrida », nous fait encore remarquer Sam Bourcier. Cette contestation première des binarités, allant de pair avec la contestation du néolibéralisme straight des réactionnaires blancs, a pris des formes de pensée théorique et politique devenues enfin bien visibles depuis les années 1980. 

Mais sans doute en sommes-nous aujourd’hui à un autre moment des résistances, moment moins critique que créatif. En témoigne particulièrement clairement la démarche de Muriel Plana qui s’empare de la recherche-création comme le terrain privilégié du corps créateur et chercheur à la fois. Dans la déambulation Faust-Circuit associée à Pour des recherches diaboliques s’expériencent – plus que s’expérimentent  – de nouvelles voies pour dire et explorer le prisme queer : « notre quête et […] notre enquête, une enquête avant tout critique et autocritique, idéalement pratique et théorique, transgressive et subversive, esthétique et politique » (Plana et al.2024).

Par là même, nous souhaitons nous pencher sur l’art-performance, acteur privilégié dans la diffusion des œuvres. La performance éphémère qui transgresse les catégorisations par disciplines artistiques et souvent ne laisse aucune trace est une des pratiques privilégiées par les artistes désireux de se concevoir en créateur agissant dans le monde. Cet activisme queer change les modes d’énonciation esthétique, il part à l’assaut des points de références, il brise les cadres et intègre ou désintègre les corps, celui de l’artiste comme celui du public.

Bibliographie indicative

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Alfonsi, I. (2019). Pour une esthétique de l’émancipation. Construire les lignées d’un art queer. Paris : B42.

Boulanger, D., & Gehrmann, S. (Dir.). (2024). Arts et activismes afroqueers : littératures, images, performances. Paris : Karthala.

Bourcier, S. (2018). Queer zones : la trilogie (P. B. Preciado, Préf.). Paris : Éditions Amsterdam.

Bourcier, S.  (2023). V. « Qu’est-ce que (n’est pas) le queer ? » Dans Regard, F. et Tomiche, A. (dir.), Déconstructions queer. Les fondamentaux, p. 139 -163. Paris : Hermann.

Brickell, C., & Collard, J. (Dir.). (2019). Queer Objects. New Brunswick : Rutgers University Press.

Butler, J. (2005). Trouble dans le genre : Pour un féminisme de la subversion. Paris : La Découverte. (Éd. orig. 1990).

Butler, J. (2018). Ces corps qui comptent : De la matérialité et des limites discursives du "sexe". Paris : Éditions Amsterdam.

Culler, J.  (2006). Philosophie et littérature : les fortunes du performatif. Littérature, n° 144 (4), p. 81-100. https://doi.org/10.3917/litt.144.0081.

Connan-Pintado, C.  (2019). « Stéréotypes et littérature de jeunesse ». Hermès, La Revue, n° 83(1), p. 105-110.https://doi.org/10.3917/herm.083.0105.

Contreras Zubillaga, I. (dir.). « Musique et théorie queer. » Transposition [En ligne], 3 | 2013. https://doi.org/10.4000/ transposition.414.

Dubois, A.-M. (2020). IA + Queer + Science-fiction. Espace, (124), 38–43. 

Dunster, F., & Gordon, T. (2024). A Queer History: How LGBTQ+ Photographers Shaped the Art. UK : Ilex Press.

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Grandena, F., Landry, P.L. (2022). La guerre est dans les mots et il faut les crier. Montréal : Triptyque.

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Lorenz, R. (2018). Art Queer. Une théorie freak (M.-M. Bortolotti, Trad.). Paris : B42-93.

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Preciado, P. B. (2019). Testo Junkie : Sexe, drogue et biopolitique. Paris : Grasset.

Preciado, P. B. (2020). Je suis un monstre qui vous parle. Paris : Grasset.

Preciado, P. B. (2024). Dysphoria Mundi : Le son du monde qui s’écroule. Paris : Points.

Sedgwick Kosofsky, E. (Dir.). (1997). Novel Gazing: Queer Readings in Fiction. Durham : Duke University Press.

Somaini, A, Ackerman, A, Gefen, A., Viewing, P. (dir.). (2025). Le Monde selon l’IA. Explorer les espaces latents. Catalogue d’exposition. Paris : JBE Books et Jeu de Paume. 

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Warhol, R., & Lanser, S. S. (Éds.). (2015). Narrative Theory Unbound: Queer and Feminist Interventions. Ohio : Ohio State University Press.

Wittig, M. (2001). La pensée straight. Paris : Balland. (Éd. orig. Boston : Beacon Press, 1992)

Wolbergs, B. (Ed.). (2020). New Queer Photography: Focus on the Margins. Dortmund : Verlag Kettler.

Soumission des propositions

Les propositions sont à déposer sur ce site avant le 1er septembre 2025.

Elles devront comporter un titre, un résumé (300 mots max.) et une courte notice biographique

Les communications ne pourront se faire qu’en français ou en anglais. 

Comité scientifique

Anissa Belhadjin, CY Cergy Paris Université
Dorothée Boulanger, Université d’Oxford  
Sylvie Brodziak, CY Cergy Paris Université
Ulysse Caillon, Université Bordeaux Montaigne 
Marion Coste, Université Paris Cité  
Juliette Drigny, CY Cergy Paris Université
Pierre-Louis Fort, CY Cergy Paris Université
Pierre-Luc Landry, Université de Victoria (Canada)
Laure Lévêque, Université de Toulon
Rocio Munguia Aguilar, Université de Guyane 
Magali Nachtergael, Université Bordeaux Montaigne 
AMarie Petitjean, CY Cergy Paris Université et IUF
Hélène Rufat, Université Pompeu Fabra (Espagne)
Anita Staron, Université de Lodz (Pologne)
Aurore Turbiau, Université de Lausanne (Suisse)

partenaires

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Comité d'organisation

Anissa Belhadjin, CY Cergy Paris Université
Héloïse Brézillon, docteur de CY Cergy Paris Université
Sylvie Brodziak, CY Cergy Paris Université
Caroline Chantegreil, Service culture, CY Cergy Paris Université
Juliette Drigny, CY Cergy Paris Université
Pierre-Louis Fort, CY Cergy Paris Université
Nicola Lo Calzo, docteur de CY Cergy Paris Université
Stefania Marcassa, CY Cergy Paris Université
AMarie Petitjean, CY Cergy Paris Université et IUF
Aurélie Vanderborn, Forum de Vauréal 

 

Contacts : Sylvie Brodziak sylvie.brodziak@gmail.com ;

Anissa Belhadjin anissa.belhadjin@cyu.fr ;

Juliette Drigny juliette.drigny@cyu.fr ;

Pierre-Louis Fort pierrelouisfort@gmail.com ;

AMarie Petitjean amarie.petitjean@cyu.fr.

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